Atelier « Sur un banc »

Regarde

Je ne sais pas depuis combien de temps j’habite ces coordonnées. Celles de ce banc : 48°58 N, 7°75 E. Et celles indéfinies de mon esprit. Assise sur ce banc. Pièce de théâtre inattendue. Il aurait pu être acteur. Il est clochard. Grands coups de toux. Éclats de voix. Ça va ça vient, ça tient à rien. Je ne sais pas depuis combien de temps je ne regarde pas, je ne suis pas en mesure de voir. Mais à chaque fois que je suis assise sur un banc j’entends. Juste des sons, je ne comprends rien. Si seulement on pouvait faire l’effort de se relier au monde… « Ah oui ! Tu gardes tout. C’est de l’alimentation. » L’effort vaut la chandelle ? « Ça va ? –Ça va. Et vous ? – Ça va ! » Super ! On a tout dit, on n’a rien dit. Je suis assise au milieu d’un banc de poissons. Les poissons envahissent la place. Il y a même le bruit de l’eau. Une fontaine au bout. Une statue la domine. Statue de pierre. Statue de sel. « Ne te retourne jamais ou tu deviendras une statue de sel ». C’est beaucoup dire sur la nostalgie et les larmes figées. Caprice d’enfant. « Viens là parce qu’il y a des voitures ! » L’« acteur » parti, tout est bruit de fond : je fais une pause, je reste assise, j’écoute miettes d’autrui, brisures d’humanité. Mais je crois, assise comme on ne peut pas plus, que je fais la seule chose que je sais faire sur un banc : être assise et laisser couler.

Casta Diva

L’Instant

Je ne sais pas depuis combien de temps
Je suis assise sur ce banc
À écrire des poèmes inspirés
De passants en nage
Et d’oiseaux de passages
Me reposer
Être assise sur un banc c’est aussi
Respirer

En écoutant leur chant

Être assise sur un banc c’est aussi
Respirer le vert
Avec les yeux et le cœur grands ouverts
Sur le monde qui m’entoure
Observer les contours
Des arbres et des façades environnantes
Lâcher ces pensées qui me hantent
Être assise sur un banc
C’est tout simplement prendre le temps
De s’arrêter
Pour savourer enfin
L’instant présent
Écouter le chant des oiseaux
Voir d’un peu plus haut
Les humains promener leurs chiens
Ou les chiens sortir leurs humains
Banc de bois, banc de béton
Passants en jupe ou en veston
Sont observés et contemplés
Discrètement, c’est ce qui me plaît

À chaque fois que je suis assise sur un banc
Pourtant je perds toute notion de temps
Entre rêveries et contemplation
Le silence m’emporte entre introspection
Et dégustation des mouvements
Des passants, certains pressés
D’autres paraissant fatigués
Sans savoir si aujourd’hui
Ou demain ils deviendront trépassant
Regards curieux et étonnés me caressent
Quel courage d’assumer cette paresse !
Je ne sais pas si je suis mise au ban
Quand je passe du temps seule sur un banc
J’aimerais que ce soit accepté
Socialement et sans jugement
En conscience qu’il s’agit
En fait de ressourcement
Mais je crois aussi que, sciemment
Le banc me soutient
Quand j’ai du tourment

Julie

Conciliabule
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis assise sur ce banc.
Au bord de l’eau, elle passe comme les passants.
Sur mon banc de poissons, moi, j’admire les bulles.
Être assise sur un banc, c’est arrêter le cours du temps.
Au loin, une chanson.
Je ne sais pas depuis combien de temps j’attends.
Dans ma bulle.
Assise sur mon banc, j’attends.
Depuis les bancs de mon école, j’attends.
Patiemment.
Et j’y écris doucement :
Arrête-toi.
Assieds-toi dans ma bulle.
Chuchote dans mon conciliabule.
Je ne sais pas ce que l’on s’y racontera.
Nos secrets, je crois.

Audrey

Le dessous Je ne sais pas depuis combien de temps je suis assise sur ce banc.
La toute petite fille passe sur son vélo. « Quand j’étais petite, j’adorais les loukoums ».
J’entends le délicieux bruissement des plumes du moineau, qui passe juste au-dessus de moi.
Le vent léger est presque froid, sur l’arrière de mon bras gauche. C’est de là que le vent souffle. De mon bras gauche.
Être assise sur un banc, c’est regarder le dessous des feuilles.
Juste un petit signe de la main. « – Alors ça va ? – Oui et vous. »
Juste un petit signe de la main.
Je ne sais pas depuis de temps la fontaine coule. Le petit son liquide m’apaise.
Sur son banc de pierre, il contemple ce qui l’entoure. Il a vingt ans et la petite fille est partie.
A chaque fois que je suis assise sur ce banc, je rêve. L’ombre de l’oiseau passe sur moi, dans une longue et fugace diagonale. C’est sur les pierres pavées que mon œil voit passer l’oiseau.
Je ne sais pas s’il m’a souri, il est si maigre. Son petit canotier est trop grand pour lui.
Je crois que l’oblique du rayon de soleil tombe sur moi.

Béatriz Beaucaire